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asuivre

7 juillet 2005

Le voleur d'âmes Chapitre 2 ( 10 )

Il avait entendu parler du syndrome de la grenouille, un truc un peu glauque et pas du tout croyable. Imaginez… On prend une grenouille, on la plonge dans une casserole remplie d’eau. Elle est bien, la bestiole, c’est son élément ; la flotte, elle connaît. On met le feu sous la casserole, ça chauffe doucement, du coup, la grenouille, elle est toujours relax. C’est un peu tiède, génial, ça rappelle l’été. Et l’eau, elle chauffe, elle chauffe, et la grenouille, elle s’affole pas et elle finit par être ébouillantée qu’elle a rien vu venir. Au fur et à mesure que l’eau devient chaude, elle s’habitue… Et bien, pour le curé, c’est un peu pareil. Un gosse un peu mal, puis un gosse à la dérive, puis un autre dans la merde et un autre, et un autre et un autre… Finalement, le monde il est en feu, et il a rien vu venir. Il a éteint quelques flammèches, ça et là, en se disant que ça pouvait le faire et il s’est pas rendu compte que tout n’était plus que cendres et désolation.
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20 juin 2005

Le voleur d'âmes Chapitre 2 ( 9 )

L’aumônier, ça lui faisait tout bizarre d’entendre ces histoires. Il n’était pas naïf, loin de là. Il savait bien quels genres de cochonneries la vie pouvait cacher. Il était même prêt à en affronter des bien salées. C’était dans le contrat de travail. Mais voir ce môme, avec ses grands yeux de môme, sa bouille encore toute ronde de môme de pas encore tout à fait douze ans, ses éclats de rire qui finissaient toujours en hoquet ; le voir tel que devraient être tous les mômes de son âge et entendre toutes ces horreurs, sentir poindre toute cette colère, trop grosse, beaucoup trop grosse pour ces bras malingres… Il en était malade le curé, malade de pitié et d’impuissance. Mis il fallait continuer de faire croire que tout peut toujours s’arranger, qu’une poussette broyée par une bagnole, c’est autant un début qu’une fin, qu un remords aussi profond, c’est un ticket pour une vie riche et une après vie encore plus bingo.
15 juin 2005

Le voleur d'âmes Chapitre 2 ( 8 )

" Non, tu comprends, chez moi, tu faisais ça, c’était la fin. T’aurais vu les mecs qui venaient à la maison… Ma mère, c’est pas qu’elle était méchante mais bon, elle avait du mal à résister aux types qu’elle ramenait. Elle nous défendait pas trop, quoi. Jérôme, je m’en occupais. Personne aurait pu le toucher. Mais moi, je me suis pris de sacrées branlées. Alors, l’autre joue, c’est pour les autres, ceux qui risquent rien. A la baraque, l’autre joue, ce serait… je sais pas, genre tu t’en prends une et tu laisses Jérôme s’en prendre une autre… C’était pas possible. Alors sûr, des fois ça faisait mal, mais le mec il avait pas intérêt à venir en bagnole. Parce que je l’explosais sa caisse. Et ni vu ni connu. En général, ils aimaient mieux leur bagnole que ma mère, ils revenaient pas. Y en même un qui a voulu jouer l’incruste … Il m’avait cogné parce que je rentrais trop tard et que ma mère elle arrivait pas à me faire obéir. Il s’est bu quelques cafés à la mort-aux-rats. Il est pas resté assez longtemps pour bien apprécier le service. Il sait pas la chance qu’il a eue… "

14 juin 2005

Le voleur d'âmes Chapitre 2 (7)

Par contre, un qui s’y connaît, rayon souffrances, c’est l’aumônier. Faut dire que son patron, il a dégusté. Rémy, il a du mal à en revenir. Le type, il est fils de Dieu, et tout, et tout, et bien, rien que parce qu’il nous aime, il laisse les Romains le tuer. Et pas une petite mort bien propre, bien rapide. Il a été crucifié. Paraît que c’est horrible. Alors Rémy a parlé du gros qui conduisait la voiture. Il l’a dit au curé : « celui-là, je le retrouve, je lui fais la peau ». Tout faux. Jésus, il veut pas. Il les aime ceux qui l’ont tué. Normal, parce que ces mecs, c’est jamais qu’un échantillon de l’humanité. Alors, s’il se venge, tout le monde prend. Et un fils de Dieu en colère, ça doit pas faire dans la dentelle. Déjà que son père c’est un teigneux. Si, si. C’est le curé qui le dit. Le Déluge, Sodome, les Egyptiens, Adam mis à la porte du Paradis. Alors, il faut pardonner. Tendre l’autre joue. Rémy, là, il a bien rigolé. Il a fallu qu’il explique à l’aumônier qui avait l’air vexé.
13 juin 2005

Le voleur d'âmes Chapitre 2 ( 6 )

Les premières étaient efficaces au niveau du discours, genre "  tu souffres, t’es pas le seul on connaît ça, on va t’aider " Des paroles comme ça, il en a entendu plein. Bien sûr qu’il est pas le seul à souffrir. Bien sûr qu’elles maîtrisent la question. Bien sûr qu’elles veulent l’aider… Mais une fois que c’est dit, et bien, il y en a d’autres, des souffrants, et le problème, c’est que chacun se croit unique, c’est que chacun voudrait qu’on s’occupe de sa pomme et merde aux autres, aux assistés, aux crevards, tellement crevards que penser à eux c’est du temps perdu, du gaspillage éhonté. Moi, m’dame, je souffre. De la vraie souffrance, comme on en fait tous les mille ans, comme on en fait que dans les livres, les vrais, comme Les Misérables. Non, j’lai pas lu, faut pas exagérer, mais j’ai vu le film. Et bien moi, c’est pareil, mais en pire. Alors si vous m’aidez pas, vous avez qu’à changer de boulot. Vous y connaissez rien.

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10 juin 2005

Chapitre 2 ( 5 )

Le reste, c’était pipeau et compagnie…Des trucs de bourges bien coincés du cul… L’équilibre, c’est un mec dans le lit, une bière dans le frigo et des gamins qui la ramènent pas. Question gamins, avec la mort de Jérôme elle avait résolu la moitié de son problème. Il ne lui restait plus qu’à larguer l’autre. Apparemment, ça ne lui avait pas demandé beaucoup d’efforts. Rémy ne lui en voulait pas. Dans un sens, il la comprenait. Avec toute cette histoire, elle avait acquis un statut irremplaçable : mère éplorée, tigresse en furie qui avait su faire payer le chauffard. Elle n’allait pas tout gâcher en traînant derrière elle un merdeux à moitié infirme. Rémy ne sut même pas si elle était allée à l’enterrement de Jérôme. Personne ne put le lui dire tout simplement parce que personne ne vint le voir. A part les assistantes sociales et l’aumônier de l’hôpital.

9 juin 2005

Chapitre 2 ( 4 )

Sa mère était revenue à l’hôpital le lendemain. Elle avait encore pleuré un peu sur la jambe de Rémy, beaucoup sur la mort de Jérôme et énormément sur elle. Ces excès lacrymaux terminés, elle était partie pour ne jamais revenir. Elle sortit de la vie de son fils comme il était entrée dans la sienne. Des gémissements, des petits cris de chien battu et, sans doute, un énorme soulagement à la fin de l’histoire. Elle n’était pas méchante, juste un peu égoïste Elle n’avait certainement jamais compris comment elle s’était retrouvée avec ces deux gamins. C’était vraiment le genre de charge qu’elle se sentait incapable d’assumer. L’assistante sociale avait su la convaincre. Vous toucherez des allocations, vos enfants profiteront de votre présence, vous-même en tirerez un certain équilibre, voilà une occasion de trouver votre place dans la société… Rémy, il avait souvent entendu sa mère dire que l’assistante sociale, elle s’était fatiguée pour rien. Le premier argument avait suffi pour enlever le morceau.

8 juin 2005

Chapitre 2 ( 3 )

- C’est normal, chère Madame… La meilleure défense n’est-ce pas l’attaque ? Ce genre d’individus ne connaît que les rapports de force. Je veillerai à le calmer.

Il secoue sa grande tignasse argentée. Comme l’autre bellâtre, celui qui fait de la politique. Rémy l’a vu, l’autre soir, à la télé. Ce genre de mec, ça doit passer des heures à se donner l’air échevelé et ça remercie tous les jours le ciel de lui avoir prématurément blanchi le poil. C’est tellement plus classe. Le panache… Ne suis-je point poète jusqu’au bout des mèches ? Et sa mère, là, qui en bave presque. Elle va s’en faire péter les jointures à lui agripper le genou comme ça.

- Oui, chère amie ( sourire crispé : il doit craindre l’épanchement de synovie ). Les vautours sont là, toujours, qui guettent. Pour eux, tout est proie. Ne craignez rien, mon jeune ami ( classe, le changement de position : la main a desserré son étreinte, on entendrait presque le genou respirer ), je veille sur vous.

7 juin 2005

Chapitre 2 ( 2 )

- Mon chéri, regarde, c’est Monsieur Georges, il va nous aider. Il est avocat.

La main de sa mère se pose sur le genou du vieux beau qui essaie vainement de grimacer un sourire. Vu. C’est pas qu’il aime pas les gosses. Peut-être même il a un album de Doisneau dans sa bibliothèque. Mais ce môme-là, il respire et il est en couleurs. Faut pas exagérer. Protéger la veuve, d’accord. Surtout quand elle est bien fichue. Et que l’affaire est susceptible de rapporter pas mal d’argent. Mais l’orphelin… Il y a des gens payés pour ça. Et ils s’en tirent très bien. Chacun son boulot.

Il tapote la main de la mère éplorée.

- Allons, allons, Thér… Madame Julien, ne vous mettez pas dans ces états. Vous verrez, tout ira pour le mieux. Le dossier est solide et ce grand gaillard s’en remettra.

- Oui, mais Jérôme, mon petit Jérôme… C’est pas juste. Et tous ces soucis… On ne s’en sortira pas. C’est pas possible. Monsieur Georges ( pression de la main sur le genou ) on n’a plus que vous. Cet horrible bonhomme qui conduisait la voiture. Toutes les horreurs qu’il a pu dire…

6 juin 2005

Chapitre 2 ( 1 )

- Rémy… Rémy… Mon chéri, réveille-toi. » C’est le « mon chéri » qui l’a tiré du brouillard. Une grande première, et le pompon c’est que c’est sa mère qui le dit. Et elle s’adresse à lui. La preuve, elle le regarde avec des yeux qui papillonnent de partout pour que ça s’humidifie bien comme il faut. La maman qui croyait avoir tout subi dans cette chienne d’existence et voilà qu’elle perd un enfant, « un trésor, le portrait tout craché de son père. Mais si… vous savez bien, celui qui venait pour les assurances... Ah bon Tant que ça… Vous croyez ? C'est drôle parce qu'il lui ressemblait vraiment. Enfin bon, par rapport à l’aîné, c'était un ange. Mais on ne peut pas choisir, n’est-ce pas ? Et l’autre, ce vaurien qui a jeté son petit frère sous la voiture, il est dans un bel état. Un estropié. Déjà qu’il avait le diable dans le corps… Il en aura la démarche. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir en faire ? »
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